Québec, 5 février 2022 - Un anneau de glace couvert a récemment été inauguré dans la ville de Québec. L’un des seuls en son genre en Amérique du Nord, ce nouvel équipement sportif pourrait non seulement donner un formidable élan au patinage de vitesse longue piste au Québec, mais semble en voie d’être adopté par toute la population de la région.
Le contraste peut difficilement être plus grand ce matin-là au Centre de glaces Intact Assurance situé à la sortie des ponts, à côté du terminus d’autobus de Sainte-Foy. Dehors, il fait beau, mais il vente fort et le froid est mordant. Plus tard dans la journée, tout cela tournera à la tempête de neige.
À l’intérieur, une petite veste suffit pour rendre confortables les 12 à 14 degrés Celsius qu’il fait au bord de la nouvelle piste couverte de 400 mètres de long inaugurée à la fin de l’été et baignée de lumière grâce aux grandes vitres qui en font tout le tour et à ses murs et plafonds blancs. L’espace est si grand qu’on a aménagé deux patinoires de format olympique à l’intérieur de l’anneau qui viennent s’ajouter à deux autres patinoires adjacentes déjà existantes. Une piste de course à pied passe aussi entre la glace et les grandes vitres extérieures.
Assis sur les coussins qui bordent la piste, quelques dizaines de patineurs en combinaisons moulantes attendent patiemment que deux surfaceuses en aient terminé avec la glace pour s’y élancer sur leurs longues et fines lames. Depuis l’intérieur de la piste, Marc-André Poudrier-Michaud suit des yeux les patineurs qui passent en coup de vent.
Ce texte fait partie de notre section Perspectives.
Le jeune entraîneur de patinage de vitesse longue piste ne se souvient que trop bien des années passées sur le vieil anneau de glace extérieur Gaétan-Boucher, qui était presque exactement au même endroit. On ne parvenait alors, au mieux, qu’à le garder ouvert environ quatre mois par année, mois pendant lesquels on y était exposé au meilleur et au pire de l’hiver québécois. Au-delà de pratiquer leur résistance aux éléments, les athlètes comprenaient rapidement que s’ils voulaient aller plus loin dans leur sport, ils devaient s’expatrier au moins plusieurs mois par année pour poursuivre leur développement à Calgary, en Alberta, à Lake Placid ou à Salt Lake City, aux États-Unis, ou dans une autre ville étrangère qui avait la chance d’avoir un anneau de glace couvert. « Mais depuis l’ouverture du [nouveau] Centre de glaces, plusieurs patineurs de vitesse courte piste ont commencé à faire de la longue piste. »
La première promesse de Régis
Cet anneau de glace couvert, Robert Dubreuil en a rêvé longtemps. Ancien coureur, lui-même, de l’équipe canadienne de courte et de longue piste, le directeur général de la Fédération de patinage de vitesse du Québec (FPVQ) avait constaté, comme tout le monde, l’impact d’avoir accès à un tel équipement sur le développement du sport. Dominant jusque-là avec des porte-étendards de la trempe de Gaétan Boucher, le contingent d’athlètes québécois au sein de l’équipe canadienne de patinage longue piste aux Jeux olympiques avait fondu après l’ouverture de l’anneau couvert de Calgary en 1988, passant de 7 Québécois sur une équipe de 7 patineurs canadiens aux Jeux de 1984 et 13 sur 16 en 1988, à seulement 2 sur 9 en 1992, et 0 sur 3 en 1994.
Loin d’être le signe d’un désintérêt des Québécois pour le patinage de vitesse, leur présence en courte piste se développait au même moment avec les succès internationaux que l’on sait, avec encore 9 Québécois sur une équipe canadienne de 10 athlètes aux Jeux de Pékin. Aujourd’hui, à peine 7 % des 6500 membres de la FPVQ pratiquent le patinage longue piste.
Mais bon, ces arguments n’allaient pas suffire pour convaincre les trois ordres de gouvernement de donner à Québec un centre couvert dont le coût s’est finalement élevé à 68 millions, a vite compris Robert Dubreuil. « Il fallait aussi que cet équipement réponde à des besoins de la communauté. »
Il s’est cogné le nez à l’indifférence de bien des élus au fil des années, jusqu’à ce qu’un obscur candidat à la mairie de Québec qui tirait de l’arrière dans les sondages adopte le projet et en fasse sa première grande promesse électorale en 2007. Son nom : Régis Labeaume. Le chemin devait être encore long par la suite, mais le maire a tenu parole et a pu inaugurer ce qui est considéré, avec ses 13 500 m2 de glace, comme le plus grand centre de patinage intérieur en Amérique.
Place aux gens de Québec
Aussitôt terminé l’entraînement matinal des jeunes coureurs en combinaisons moulantes et le retour des surfaceuses, c’est au tour de petites familles, de couples qui se tiennent par la main et de personnes plus âgées de glisser sur le grand anneau. Un minimum de 25 heures par semaine est ainsi réservé au patinage libre, explique le directeur général du Centre de glaces, Jean-François Harvey. La piste de course à pied et ses grandes vitres extérieures sont également très populaires auprès d’athlètes, d’humbles joggeurs et même de personnes âgées, qui y viennent simplement pour marcher, surtout depuis qu’il fait froid dehors. « C’est plus beau, avec la vue dehors, que de faire cela à Place Laurier. »
On comptait déjà 200 000 visiteurs seulement après les trois premiers mois, se félicite Jean-François Harvey. « Puis est arrivée la 5e vague de la COVID… » et son cortège de contraintes sanitaires.
Dans les couloirs du Centre de glaces, de grandes murales racontent l’histoire d’amour de la région de Québec avec le patin à glace depuis 250 ans. L’endroit pourrait accueillir une étape de la coupe du monde, mais n’offre pas assez de places aux spectateurs pour la tenue d’épreuves olympiques. Du moins, pas comme on les conçoit aujourd’hui. On compte aussi y organiser d’autres sortes d’événements sportifs, sociaux et culturels.
« Auprès de ma Rose »
Les patineurs du dimanche sont partis et les surfaceuses sont revenues avant de céder à leur tour la glace à seulement deux patineurs en combinaisons moulantes noir, gris et rouge. C’est le fils de Robert, Laurent Dubreuil, et Antoine Gélinas-Beaulieu, deux athlètes de la région de Québec, qui étaient alors à quelques jours seulement de leur départ pour les Jeux olympiques de Pékin.
Pour eux, pouvoir s’entraîner à quelques minutes de la maison change totalement la donne. « C’était vraiment quelque chose de ne jamais avoir les mêmes conditions [météo et de glace] et de devoir patiner dans le froid et le vent du mois de janvier. On avait été pris avec des conditions exécrables les semaines qui avaient précédé les Jeux de Pyeongchang, dit Laurent Dubreuil, qu’on verra au 500 m et au 1000 m. Par une journée comme aujourd’hui, mon seul souci a été de gratter la glace sur mon pare-brise pour retrouver une glace qui est toujours belle, dans une condition stable, à une température agréable… ce sont des conditions idéales. »
Mais surtout, cela signifie pour lui qu’il n’aura plus à ajouter deux mois et demi d’entraînement à Calgary aux deux mois et demi qu’il doit déjà passer sur la route pour les compétitions. C’est tout sauf un détail quand on a le bonheur, comme l’athlète de 29 ans, d’avoir une conjointe et une petite Rose de 2 ans.
Même son de cloche du côté de son coéquipier. « Comme athlète, on avait l’habitude de réévaluer chaque année si ça valait encore la peine de continuer, explique le spécialiste du 1000 m et du Départ groupé, lui aussi âgé de 29 ans. Mais le nouveau centre apporte un changement immense dans ma vie. Je peux avoir une vie plus normale, plus stable. Sans cela, j’aurais probablement arrêté la compétition au terme de ce cycle olympique. Mais là, je compte poursuivre au moins quatre autres années, après quoi je pourrai peut-être devenir entraîneur. »
Par Éric Desrosiers
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir